ENLEVEMENT INTERNATIONAL D’ENFANTS : Décisions rendues par un Etat membre en dépit des règles de compétences prévues par le Règlement Bruxelles 2 bis. Absence de reconnaissance et d’exécution possible sur le territoire des autres Etats membres.
Le Règlement Bruxelles 2 bis prévoit un mécanisme de reconnaissance des jugements qui sont rendus sur le territoire des Etats membres reposant sur le principe de la confiance mutuelle entre les Etats membres, justifiant que ceux-ci respectent strictement les règles de compétence fixées au Règlement Bruxelles 2 bis.
Précisons que le Règlement Bruxelles 2 bis a fixé des règles de compétence qui s’imposent à tous les Etats membres. Il ressort de l’article 10 du Règlement Bruxelles 2 bis que les juridictions qui sont seules compétentes pour prendre des mesures relatives à un enfant qui a été déplacé illicitement sont celles du lieu de sa résidence habituelle avant son déplacement illicite.
Un arrêt de la CJCE du 10 avril 2018 a précisé que :
« la compétence de la juridiction d’un Etat membre en matière de responsabilité parentale d’un enfant qui a été déplacé de manière illicite doit être déterminée, non pas au regard de la règle d’attribution de compétence générale prévue à l’article 8, mais exclusivement en application de l’article 10. »
Elle a, dans cet arrêt, précisé :
« L’article 10 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 et l’article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, doivent être interprétés en ce sens que, dans une affaire telle que celle en cause au principal, dans laquelle un enfant qui avait sa résidence habituelle dans un Etat membre a été déplacé par l’un de ses parents de manière illicite dans un autre Etat membre, les juridictions de cet autre Etat membre ne sont pas compétentes pour statuer sur une demande relative au droit de garde ou à la fixation d’une pension alimentaire à l’égard dudit enfant, en l’absence de toute indication selon laquelle l’autre parent aurait acquiescé à son déplacement ou n’aurait pas présenté de demande de retour de celui-ci. »
Dans un arrêt de principe (arrêt Purrucker), lac CJCE a, par ailleurs, examiné la question préjudicielle suivante :
« Sur la question préjudicielle
57. Par sa question, le Bundesgerichtshof demande si les dispositions des articles 21 et suivants du règlement n° 2201/2003 s’appliquent également à des mesures provisoires exécutoires, en matière de droit de garde, au sens de l’article 20 de ce Règlement. »
Or, ses développements, sur cette question ont été les suivants :
« (…)
65. L’affaire au principal montre qu’il n’est pas toujours aisé, à la lecture d’un jugement, de qualifier à cet égard la décision adoptée par une juridiction au sens de l’article 2, point 1, du règlement n° 2201/2003.
66. Il apparaît que la plupart des faits mentionnés par le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de San Lorenzo de El Escorial ne correspondent pas à des critères susceptibles de fonder une compétence au titre des articles 8 à 14 du règlement n° 2201/2003.
S’agissant des faits correspondant aux critères visés aux articles 8, 9 et 10 dudit règlement, susceptibles de fonder une telle compétence, à savoir la résidence habituelle du mineur et l’ancienne résidence habituelle de ce dernier, ils ne permettent pas d’identifier au titre de laquelle de ces trois dispositions cette juridiction se serait, si tel avait été le cas, reconnue compétente en vertu de ce règlement.
(…)
69. À cet égard, il convient de rappeler que, en tant qu’il fait partie du droit de l’Union, le règlement n° 2201/2003 prime le droit national. Par ailleurs, il prévaut sur la plupart des conventions internationales portant sur les matières qu’il règle dans les conditions visées à ses articles 59 à 63.
70. Ainsi qu’il ressort du deuxième considérant du règlement n° 2201/2003, le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires est la pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire.
71. Selon le vingt et unième considérant dudit règlement, cette reconnaissance devrait reposer sur le principe de la confiance mutuelle.
72. C’est cette confiance mutuelle qui a permis la mise en place d’un système obligatoire de compétences, que toutes les juridictions entrant dans le champ d’application du règlement n° 2201/2003 sont tenues de respecter, et la renonciation corrélative par les États membres à leurs règles internes de reconnaissance et d’exequatur au profit d’un mécanisme simplifié de reconnaissance et d’exécution des décisions rendues dans le cadre de procédures en matière de responsabilité parentale (voir par analogie, à propos des procédures d’insolvabilité, arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C-341/04, Rec. p. I-3813, point 40).
73. Il est inhérent à ce principe de confiance mutuelle que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande en matière de responsabilité parentale vérifie sa compétence au regard des articles 8 à 14 du règlement n° 2201/2003 (voir, par analogie, arrêt Eurofood IFSC, précité, point 41) et qu’il ressorte clairement de la décision rendue par cette juridiction que cette dernière a entendu se soumettre aux règles de compétence directement applicables, prévues par ce règlement, ou qu’elle a statué conformément à celles-ci.
74. En contrepartie, ainsi que le précise l’article 24 dudit règlement, les juridictions des autres États membres ne peuvent contrôler l’appréciation portée par la première juridiction sur sa compétence.
75. Cette interdiction ne préjuge pas de la possibilité, pour une juridiction à laquelle est soumise une décision ne contenant pas d’éléments attestant indubitablement de la compétence au fond de la juridiction d’origine, de vérifier s’il ressort de cette décision que cette dernière juridiction a entendu fonder sa compétence sur une disposition du règlement n° 2201/2003.
En effet, ainsi que l’a souligné Mme l’avocat général au point 139 de ses conclusions, une telle vérification constitue non pas un contrôle de la compétence de la juridiction d’origine, mais uniquement une identification de la base sur laquelle la juridiction a fondé sa compétence.
76. Il résulte de ces éléments que lorsque la compétence au fond, conformément au règlement n° 2201/2003, d’une juridiction ayant adopté des mesures provisoires ne ressort pas, de toute évidence, des éléments de la décision adoptée, ou que cette décision ne contient pas une motivation dépourvue de toute ambiguïté, relative à la compétence au fond de cette juridiction, par référence à l’un des chefs de compétence visés aux articles 8 à 14 de ce règlement, il peut en être conclu que ladite décision n’a pas été adoptée conformément aux règles de compétence prévues par ledit règlement. Cette décision peut cependant être examinée au regard de l’article 20 dudit règlement, afin de vérifier si elle relève de cette disposition.
77. En effet, l’article 20 du règlement n° 2201/2003 prévoit le respect de plusieurs conditions. Ainsi que la Cour l’a précisé, les juridictions visées à l’article 20, paragraphe 1, dudit règlement ne sont autorisées à octroyer des mesures provisoires ou conservatoires qu’à la condition de respecter trois conditions cumulatives, à savoir:
– les mesures concernées doivent être urgentes;
– elles doivent être prises relativement aux personnes ou aux biens présents dans l’État membre où siègent ces juridictions, et
– elles doivent être de nature provisoire (arrêts A, précité, point 47, et du 23 décembre 2009, Detiček, C-403/09 PPU, non encore publié au Recueil, point 39).
(…)
82. S’agissant de l’effet d’une décision relevant de l’article 20 du règlement n° 2201/2003 dans les États membres autres que celui de la juridiction qui l’a adoptée, la Commission et plusieurs États membres ont soutenu que des mesures relevant de cet article 20 devraient pouvoir bénéficier du système de reconnaissance et d’exécution prévu par ledit règlement.
83. Il y a lieu de considérer cependant, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 172 à 175 de ses conclusions, que le système de reconnaissance et d’exécution prévu par le règlement n° 2201/2003 n’est pas applicable à des mesures relevant de l’article 20 de celui-ci.
84. Le législateur de l’Union n’a en effet pas voulu une telle applicabilité. Ainsi qu’il ressort de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de 2002 ayant conduit à l’adoption du règlement n° 2201/2003 [document COM(2002) 222 final], l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement trouve son origine dans l’article 12 du règlement n° 1347/2000, lequel est une reprise de l’article 12 de la convention de Bruxelles II. L’exposé des motifs de la proposition de la Commission de 1999 ayant conduit à l’adoption du règlement n° 1347/2000 [document COM(1999) 220 final] et le rapport Borrás relatif à la convention de Bruxelles II indiquent tous deux en des termes identiques en ce qui concerne ces articles que «la règle contenue dans cet article limite les effets territoriaux des mesures à l’État dans lequel elles sont prises».
(…)
87. Le texte du règlement n° 2201/2003 n’atteste en aucune manière d’une volonté de rejeter les explications contenues dans ces travaux préparatoires quant aux effets de mesures relevant de l’article 20 de ce règlement. Au contraire, la place de cette disposition dans ledit règlement et les expressions «n’empêchent pas» et «ne fait pas obstacle», figurant à cet article 20, paragraphe 1, et au seizième considérant dudit règlement, montrent que les mesures relevant dudit article 20 ne font pas partie des décisions adoptées conformément aux règles de compétence prévues par le même règlement et bénéficiant, dès lors, du système de reconnaissance et d’exécution mis en place par celui-ci.
(…)
91. Ainsi que l’a souligné le gouvernement du Royaume-Uni lors de l’audience, admettre la reconnaissance et l’exécution de mesures relevant de l’article 20 du règlement n° 2201/2003 dans tout autre État membre, y compris dans l’État qui est compétent au fond, créerait en outre un risque de contournement des règles de compétence prévues par ce règlement et de «forum shopping», ce qui serait contraire aux objectifs poursuivis par ledit règlement et, notamment, à la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant grâce à l’adoption des décisions le concernant par la juridiction géographiquement proche de sa résidence habituelle, considérée par le législateur de l’Union comme la mieux placée pour apprécier les mesures à adopter dans l’intérêt de l’enfant.»
Il résulte de cet arrêt les principes suivants :
- En premier lieu, lorsque la compétence de la juridiction ayant adopté les mesures provisoires litigieuses ne ressort pas « de toute évidence des éléments de la décision adoptée ou que cette décision ne contient pas une motivation dépourvue de toute ambiguïté relative à la compétence au fond de cette juridiction, par référence à l’un des chefs de compétence visés aux articles 8 à 14 de ce Règlement », il peut en être tenu compte dès lors que n’ayant pas été adoptée conformément aux règles de compétence prévues par le règlement.
- Selon la Cour, cette décision peut, toutefois, être examinée, mais exclusivement dans le cadre des dispositions de l’article 20 du Règlement « afin de vérifier si elle relève de ces dispositions . »
Dans cette affaire Purrucker, la Cour avait ainsi considéré (point 66) qu’il ne ressortait pas des faits mentionnés dans l’ordonnance contestée un respect des critères de compétence prévus à l’article 10 du Règlement Bruxelles II Bis pouvant seul être évoqué dans le cadre d’un déplacement illicite d’enfant. Elle avait noté que la décision en cause s’était référée à des règles de compétence prévues par le droit national espagnol. Or, elle a rappelé que le Règlement Bruxelles 2 bis «en tant qu’il fait partie du droit de l’Union, prime le droit national ».
Au point 77, la Cour a rappelé les conditions visées à cet article. Elle a mentionné trois conditions devant être cumulativement respectées, à savoir l’urgence, que les mesures concernent un enfant présent sur le territoire du ressort de la juridiction ayant rendu la mesure, et que celle-ci soit de nature provisoire. Au point 78, elle a évoqué le fait qu’il s’en suivait que toute décision, dont il ne ressortait pas qu’elle ait été adoptée par une juridiction compétente au regard des règles de compétence prévues par le Règlement, ne pouvait relever de l’article 20 qu’au cas où les trois conditions cumulatives étaient réunies.
En tout état de cause, la Cour, dans son arrêt, a été catégorique quant au fait que toute décision prise en vertu de l’article 20 du Règlement ne fait pas partie des décisions qui peuvent donner lieu à une reconnaissance et une exécution sur le territoire des autres Etats membres. Elle a précisé que de telles mesures ne disposaient d’effet que sur le territoire de l’Etat les ayant rendues.
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